Année de diffusion : 2017
Descriptif du documentaire :
Avec son embonpoint, Viktor Bout ressemble à M. Tout-le-Monde. Mais derrière ce faciès débonnaire se cache un redoutable businessman – en russe, le mot est d’ailleurs devenu synonyme de « gangster » –, qui a laissé derrière lui un sillage de mort et de sang. Né au Tadjikistan, cet ancien officier de l’armée russe est devenu dans les années 1990 et 2000 l’un des plus grands marchands d’armes au monde, faisant fleurir son trafic au gré des conflits en Afrique et au Moyen-Orient (Liberia, République démocratique du Congo, Rwanda, Afghanistan, etc.), et inspirant le personnage de Yuri Orlov dans « Lord of War » – film auquel ce documentaire fait écho de façon saisissante.
À la tête d’une flotte d’avions cargos récupérée dans l’ex-URSS, Viktor Bout ne se gêne pas pour alimenter parfois les deux factions d’un conflit, faisant fi de toute morale. Arrêté en 2008 en Thaïlande par des agents américains de la Drug Enforcement Administration s’étant fait passer pour les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), il purge une peine de vingt-cinq ans de prison aux États-Unis.
Il a connu toutes les guerres ou presque. Il a volé de guérilla en conflit ethnique, aux quatre coins de la planète. Il a déjoué tous les pièges tendus par ses ennemis et les services secrets. Et c’est au 27e étage d’un hôtel cinq étoiles de Bangkok, le Silom Sofitel, avec piscine, chambres à 250 dollars et vue imprenable sur la ville, que Victor Bout est finalement tombé, coincé par des agents de la DEA, l’agence antidrogue américaine. Fin de partie pour le plus grand vendeur d’armes au monde, le marchand de mort par excellence.
Livreur de porte à porte. Amateur des grands classiques russes comme Tolstoï et Gogol, il lit également Paulo Coelho et Carlos Castaneda. Quand il est invité à un mariage princier au Swaziland, il offre un chandelier en argent à 3 500 euros. Sa jolie femme, Alla, styliste de Saint-Pétersbourg, raffole de la Provence. Et son frère aîné, Sergueï, son âme damnée qui vit aux Emirats, parle aussi bien que lui l’anglais d’Oxford.
Sur l’atlas des conflits, « VB » sème ses pions. Il se bâtit un empire, avec des sociétés en constante ré-immatriculation. On le retrouve au Liberia, puis en Sierra Leone. Quand il expédie des armes vers ces pays, il demande à être payé en diamants, plus discrets, aisément revendables à Anvers, Tel-Aviv et Bombay, parfois en coltan, un minerai high-tech utilisé dans l’informatique.
Le marchand de mort, dont les royalties s’élèvent à plusieurs dizaines de millions de dollars, pourrait s’arrêter là.
Mais l’homme, qui fréquente l’hôtel Renaissance et les sushi bars de Moscou, est aussi un flambeur. Il adore surtout se jouer des Etats. Beau pied de nez à ses détracteurs, il va jusqu’à livrer des armes à Bagdad… pour le compte de l’armée américaine, via la société de services KBR ! « Et tout cela malgré le fait que Bout était sous le coup de sanctions du Trésor américain et recherché par Interpol », commente Ethan Zuckerman, chercheur à l’université Harvard, qui a enquêté sur le parcours du marchand d’armes.
Victor Bout assume, impavide, son rôle de trafiquant sans frontières qui se moque des lois. Il pousse la provocation jusqu’à s’installer au coeur de l’Europe, à Ostende, dans une somptueuse villa à quelques minutes de l’aéroport, où il loge sa société Air Cess, rebaptisée Trans Aviation Network. Ostende, du coup, devient une plaque tournante du trafic d’armes…
Et Bout empoche 50 millions de dollars, selon la police belge. Les avions de Mister Bout, décidément jamais à court d’idées, vont également chercher des armes en Roumanie, en Bulgarie, en Ukraine, qu’ils acheminent en République démocratique du Congo ou en Angola, via le Togo. Interpol s’intéresse à lui, pond en décembre 2000 un rapport intitulé « Projet Pierres de sang » (les diamants de Bout), délivre une « notice rouge », mais ne parvient pas à le coincer.
Insaisissable Bout. La recette magique de ce businessman de la guerre ?
Un carnet d’adresses épais comme un Bottin. Et du flair. « Comment a-t-il pu construire un tel réseau souterrain et compliqué ?
En exploitant les failles de la globalisation anarchique », commente Douglas Farah, auteur américain qui a consacré un livre-enquête sur Bout, « Le marchand de mort ». « Il dispose du meilleur réseau logistique au monde », reconnaît Lee S. Wolofsky, ancien membre du Conseil national de sécurité, qui a coordonné les efforts des différentes agences américaines pour traquer Victor Bout dans les années 90. En vain. Le marchand de mort, « livreur de porte à porte », selon un enquêteur international, a réussi à semer ses poursuivants en utilisant des prête-noms et des sociétés écrans.
Affable, attentif au sort des populations autochtones, selon un intermédiaire, dont les Pygmées, à qui il a rendu visite à plusieurs reprises, le seigneur de guerre Victor Bout est un être hybride conjuguant l’élégance et le plus parfait cynisme. Vendeur à la fois de riz et de bombes au tiers-monde.
Lorsque le dictateur zaïrois Mobutu est en difficulté, « VB » oublie qu’il vend des armes aux rebelles et lui envoie un avion. Bon prince, il cultive ses liens avec les potentats, mais aussi avec les Nations unies. Il expédie des Casques bleus en Somalie lors de l’opération Restore Hope en 1993 alors qu’il vient d’alimenter plusieurs guerres africaines, puis convoie des négociateurs aux Philippines lors de la prise d’otages des touristes occidentaux détenus sur l’île de Jolo.
Après le tsunami de décembre 2004, il livre des produits alimentaires au Sri Lanka. Quand George W. Bush divise le monde du XXIe siècle en pro et anti-Américains, Bout, lui, se déclare des deux bords, sait-on jamais.
Figure par excellence de l’acteur transnational et non étatique, protégé par le FSB russe, Bout s’est longtemps cru au-dessus des lois, avec son énorme flotte privée-jusqu’à 60 avions, pour beaucoup immatriculés au Liberia et au Swaziland. Homme de l’ombre, personnage à la Dostoïevski, le marchand de mort est avant tout un joueur fasciné par le tapis vert, couleur jungle. C’était compter sans la ruse de ses adversaires. Au jeu de la roulette, le parrain érudit ne pouvait être toujours gagnant
La Russie ne veut pas abandonner Viktor Bout
La justice new-yorkaise a condamné à 25 ans de prison le marchand d’armes Viktor Bout. Le trafiquant international d’origine russe a pu cependant espérer que Moscou lui vienne en aide à la suite de négociations avec Washington.
Viktor Bout n’est pas n’importe qui aux yeux de Moscou et les autorités russes s’engagent à tout faire pour obtenir le retour au pays de l’ancien militaire reconverti en trafiquant d’armes. Le ministère russe des Affaires étrangères évoque, dans un communiqué, un verdict « infondé et biaisé » qui obéit à une « commande politique ». Il assure également qu’il fera tous les efforts nécessaires pour obtenir le retour de Viktor Bout en Russie.
Moscou avait protesté vigoureusement en 2010, lorsque le trafiquant d’armes avait été extradé de la Thaïlande vers les Etats-Unis pour y être jugé sous l’accusation de trafic d’armes. Il avait été arrêté en 2008 à Bangkok, où il s’était fait piéger par des agents secrets américains qui prétendaient vouloir acheter des armes pour la guérilla colombienne. Malgré la pression des Russes, la justice thaïlandaise avait accepté d’extrader Viktor Bout vers les Etats-Unis, en vertu des poursuites pour « terrorisme ». Cette charge a été abandonnée lors du procès.
Des livraisons illégales d’armes en Afrique
Agé aujourd’hui de 45 ans, le trafiquant d’armes a été surnommé « Le marchand de mort » dans un livre qui lui a été consacré. Il a également inspiré le personnage incarné par Nicolas Cage dans le film « Lord of War ». Ancien élève de l’Institut militaire des langues étrangères de Moscou, là où étaient formés les officiers de renseignement de l’Armée rouge, Viktor Bout parle une dizaine de langues, y compris plusieurs langues africaines. Officier-interprète dans l’aviation russe, il a participé à plusieurs missions en Afrique.
Après la fin de l’URSS, Viktor Bout a commencé, dès les années 1990, à fournir illégalement des armes à de nombreux protagonistes en Afrique. Sa flotte d’avions cargos lui a permis par ailleurs de passer des contrats de transport avec les Nations unies, avec la France pour l’opération Turquoise au Rwanda, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, jusqu’en 2005, pour l’Irak et l’Afghanistan. Sous le coup des sanctions de l’ONU et d’un mandat d’arrêt international, le trafiquant s’est réfugié en 2001 à Moscou. Il a réussi à échapper aux tentatives d’arrestation grâce à ses différentes identités et à de puissants appuis politiques.
Viktor Bout risquait la prison à vie
Après la condamnation de Viktor Bout à 25 ans de prison aux Etats-Unis, sa femme et son avocat ont affiché leur satisfaction. Ils ont même parlé de victoire : la peine prononcée est le minimum prévu par la loi, alors que les procureurs avaient requis la perpétuité. De surcroît, l’accusation d’appartenance à une organisation terroriste a été abandonnée. La juge new-yorkaise qui a prononcé la sentence a simplement souligné que Viktor Bout a vendu des armes aux « régimes les plus cruels et les plus violents du monde ».
Le marchand d’armes a l’intention de faire appel de sa condamnation. Il peut compter également sur l’appui sans faille de Moscou, qui a mis son dossier en haut de l’agenda russo-américain. Une extradition de Viktor Bout vers la Russie est peu probable, mais le chef de la commission parlementaire russe pour les Affaires étrangères a évoqué une possible grâce accordée par le président américain Barack Obama. En 2000, Vladimir Poutine, alors tout nouveau président, avait gracié l’Américain Edmond Pope, condamné en Russie à 20 ans de prison pour espionnage.