Année de diffusion : 2019
Descriptif du documentaire :
Vie et destin du Livre noir, la destruction des Juifs d’URSS. Un documentaire ambitieux rappelle les conditions dans lesquelles ont été recueillis les témoignages sur les exactions commises par l’occupant nazi en Union soviétique.
Dans les premiers mois de la guerre, au plus fort de l’offensive allemande contre l’URSS, Staline autorise la création, à Moscou, d’un Comité antifasciste juif. Le but est double : renforcer l’union de toutes les composantes du pays derrière ses dirigeants et son armée ; obtenir le soutien, en premier lieu financier, des juifs d’Occident. L’acteur et directeur de théâtre de langue yiddish Solomon Mikhoels (1890-1948) en sera le visage et le président.
A mesure que parviennent les récits des horreurs commises par les Allemands dans les territoires conquis, il prend son travail de plus en plus à cœur. Il écrit : « Tous les juifs s’adressent à moi et je n’en vois pas la fin. Je suis submergé de destins. Il me semble parfois que je suis le seul responsable de tout mon peuple, sans même parler de mon théâtre. »
La guerre terminée, les priorités ont changé, ce qui était nécessaire devient encombrant. « Sans autorisation, le Comité assure la fonction de représentant principal pour les affaires concernant la population juive », écrit le KGB dans un rapport secret, dont les mots font écho à ceux de Mikhoels quelques années plus tôt. D’autres mots suivront : « nationalisme », « sionisme », « cosmopolitisme »…
L’acteur est assassiné par le KGB en 1948. Treize autres membres du Comité seront condamnés à mort sur des accusations fantaisistes d’espionnage, prélude à une vague de paranoïa antisémite qui secouera l’URSS et ne s’éteindra qu’à la mort de Staline, en 1953.
Pas publié avant 2010
Mikhoels et ses compagnons paient une autre initiative : le Livre noir, un recueil de témoignages documentant l’extermination des juifs d’Union soviétique par l’occupant allemand. Là encore, le projet, imaginé par Albert Einstein dès 1941, est d’abord soutenu par Staline : il doit être un outil de mobilisation et un document préfigurant l’inéluctable jugement des criminels nazis. Les écrivains Ilya Ehrenbourg (1891-1976) et Vassili Grossman (1905-1964) en sont les ordonnateurs.
Son destin sera semblable à celui du Comité antifasciste. Le KGB et le Kremlin reprochent au livre, qui ne sera pas publié en Russie avant 2010, de mentionner la participation de collaborateurs locaux au génocide. Plus grave, il singularise la souffrance juive par rapport à celle des autres peuples de l’Union. Après la guerre, faire allusion à la Shoah devient un symptôme de « nationalisme juif agressif ».
A travers l’histoire du Comité antifasciste juif et celle du Livre noir, les auteurs du documentaire, Antoine Germa et Guillaume Ribot, offrent un concentré saisissant de celle des juifs d’URSS. Intelligent et érudit, leur film dresse aussi le portrait, magnifique et sensible, de trois hommes exceptionnels, Mikhoels, Grossman, Ehrenbourg, se débattant entre les fantômes des millions de disparus et l’ombre des tourmenteurs de la Loubianka.
Communistes convaincus, ils n’accordent, à l’exception de Mikhoels, aucune importance à leur judéité. Ecrivains, correspondants de guerre adulés, Grossman et Ehrenbourg ne vibrent que pour la sauvegarde de l’URSS. Patriote à Stalingrad, Vassili Grossman se découvre juif à Treblinka. Sa rencontre avec l’héroïsme, mais aussi l’hypocrisie et la terreur soviétiques, lui inspirera son chef-d’œuvre, Vie et Destin (achevé en 1962, publié en 1980), guère plus publiable que le Livre noir.
Le récit est porté par ces trois grandes plumes, et par des voix, celles de Denis Podalydès, Mathieu Amalric et Hippolyte Girardot. Les images d’archives, rares et émouvantes, complètent ce tableau. « L’histoire du Livre noir est une histoire de terreur et d’amnésie », nous prévient le film. Le constat vaut pour tant de pages de l’histoire soviétique.
Vie et destin du Livre noir, la destruction des juifs d’URSS, documentaire écrit par Antoine Germa et Guillaume Ribot, réalisé par Guillaume Ribot (Fr., 2020, 92 min)