Année de diffusion : 2017
Descriptif du documentaire :
Manger des insectes ? AVIS D’EXPERT – Selon Samir Mezdour, chercheur en science des aliments, les insectes représentent aujourd’hui une voie d’exploration particulièrement innovante pour la nutrition.
Samir Mezdour est chercheur en science des aliments et procédés agroalimentaires à AgroParisTech.
Nous mangeons déjà des insectes… sans le savoir! En effet, on utilise depuis longtemps la cochenille, qui produit des teintes rouges, orangées et roses de qualité pour obtenir le rouge des colorants utilisés dans de nombreux produits alimentaires comme les bonbons, des saucisses, la croûte de certains fromages, le tarama, le sirop pour la toux, des boissons, des yaourts, etc.
Mais, alors que dans la plupart des pays du Sud, surtout dans les tropiques, la consommation d’insectes est courante, voire prisée comme un mets des plus raffinés, les Occidentaux manifestent le plus souvent une réaction de dégoût pour ce qu’ils considèrent comme une habitude primitive.
Des qualités nutritives exceptionnelles
Les insectes comestibles renferment les nutriments essentiels à la croissance du corps humain: des protéines à foison, des vitamines, des minéraux, des acides gras essentiels, des fibres… et surtout en plus grande quantité que dans nos aliments traditionnels. Leur valeur nutritionnelle ne diffère pas de celle des autres sources de viande comme le poulet, le bœuf, le porc et le poisson. Les taux de protéines sont même souvent plus élevés chez les insectes et le contenu des protéines brutes est supérieur à 60 % dans de nombreuses espèces.
Par exemple, le grillon comestible contient 3 fois plus de protéines que le bœuf à poids égal et 100 g de grillons couvrent plus de la moitié des besoins quotidiens en protéines d’un adulte de 70 kg. Une dizaine de criquets cuits, soit 20 grammes, correspond à la valeur énergétique d’un bifteck de 110 g! Et, si les termites, vers de farine et autres larves, très riches en apports énergétiques, peuvent venir en aide aux populations souffrant de sous-alimentation, les adeptes de régimes se reporteront plutôt sur les sauterelles, criquets ou fourmis aux taux de lipides inférieurs à 5 % mais aux teneurs en protéines très élevées.
Une urgence pour l’environnement
Pour nourrir les 9 milliards de personnes prévues à l’horizon 2050, l’augmentation indispensable de la production alimentaire humaine et animale entraînera des pénuries des terres agricoles, d’eau, des forêts, de la pêche, des ressources de la biodiversité, des nutriments et des énergies non renouvelables. La demande mondiale en animaux d’élevage va plus que doubler au cours des cinquante prochaines années. Or le secteur de l’élevage, qui contribue déjà très largement aux émissions de gaz à effet de serre et utilise 8 % des réserves d’eau mondiales, est l’un des principaux facteurs de déforestation et un acteur majeur de perte de la biodiversité en Europe.
Les insectes représentent une alternative idéale à la viande: ils nécessitent peu d’espace et rejettent 99% de gaz à effet de serre de moins que leur équivalent en bœuf, au kilogramme de protéines produit. Ils ont également des capacités de conversion énergétique extrêmement élevées, ce qui leur permet de produire de grandes quantités de protéines sans pour autant avoir des besoins élevés en nourriture et en eau.
Un véritable «trésor pharmaceutique»
La capacité des insectes à coloniser l’ensemble de la biosphère est le résultat d’une adaptabilité évolutive exceptionnelle. De nombreuses espèces peuvent survivre dans des environnements extrêmes et sont capables de métaboliser des substances à forte toxicité. La compréhension de leurs outils de synthèse moléculaire ouvre de nouvelles perspectives dans les domaines de la médecine (biotechnologie «rouge»), de la lutte antiparasitaire (biotechnologie «verte») et de la production industrielle. La recherche sur ces espèces doit également permettre le développement de modèles pour l’évaluation des risques écotoxicologiques ou encore faciliter la production de nouveaux bio capteurs.
L’entomophagie n’est pas plus dangereuse pour la santé que n’importe quel autre type de nourriture, et les repas élaborés à partir d’insectes sont conformes aux normes de références alimentaires préconisées par la FAO (Food and Agriculture Organization) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais les préjugés sont tenaces et la réglementation européenne, particulièrement restrictive, n’encourage pas le changement des mentalités.
L’innovation, foisonnante en la matière, pourrait pourtant fournir une alternative alimentaire prometteuse pour l’homme et la planète, alors que près de 1 milliard d’individus dans le monde ne mangent pas à leur faim tandis que, dans les pays développés, une proportion à peu près équivalente souffre de surpoids ou d’obésité.
Certains, cependant, n’hésitent plus à se lancer… On trouve ainsi sur Internet grillons, criquets, vers de farine, mais aussi vers à soie et de bambou, scarabées, termites ou punaises d’eau. Certaines grandes surfaces proposent des insectes, entiers, déshydratés à cuisiner ou assaisonnés et prêts à manger pour l’apéritif, associés à des marqueurs gustatifs – curry, sésame, ail et fines herbes -, ou encore incorporés dans des biscuits sucrés ou salés. Quant aux INsteacks, à la farine de pois chiches et vers de farine, ils ont remporté le concours de Foodtech de l’Institut Paul Bocuse!
Par ailleurs, la réglementation européenne s’assouplit… Les poissons d’élevage peuvent désormais être nourris avec de la farine d’insectes, en attendant que la mesure concerne aussi les porcs et surtout les volailles. Il faut aussi trouver des sources alternatives de protéines, en réponse à des situations particulières d’alimentation avec des besoins nutritionnels propres (alimentation infantile, dénutrition, nutrition sportive…) ou pour apporter une diversification de l’offre alimentaire.
Comme les micro-algues, par exemple, les insectes représentent aujourd’hui, dans le cadre des recherches portant sur la production durable de protéines, une voie d’exploration particulièrement innovante à la fois pour la nutrition animale et l’alimentation humaine.